"Je suis athée, Dieu merci!" aime dire Marc-Alain Ouaknin avec humour. Rabbin, philosophe, traducteur de la Bible, il partage sa passion pour la traduction et l'interprétation des textes. 

C'est le milieu Hassidique allemand qui a développé la légende du Golem, une créature d'argile animée par le souffle des forces de la prière, de l'étude et de la méditation; en fait à l'origine le Golem ne désigne pas cette créature magique douée de pouvoir surnaturel; le Golem n'est pas une autre créature nouvelle mais l'homme lui-même qui devient animé par une énergie vitale insufflée par la force de combinaison du langage et des lettres du nom divin. Il est une statue inerte qui attend la vie. L'auteur va nous emmener dans un art de la lecture qui est d'abord une pratique déconstructive dans la finalité et la mise en mouvement du langage pour permettre à l'homme de s'inscrire dans un incessant dynamisme de signification. Le Tsimtsoum sera d'abord une image: Dieu se retire de lui-même, en lui-même, pour laisser place à l'autre, à la création et à la créature. Ce n'est pas un état définitif, la création et la créature sont prises dans un mouvement de reconquête de tout l'espace vide, pour reconstruire une totalité; il y a donc entropie parole de limite qui en retour va dire ça suffit et Dieu sera celui qui le dit au monde. Il y a ici clairement erreur de la recherche d'un Nirvana où tout l’être de l'homme est inclus dans la totalité du divin, erreur du panthéisme ou tout le divin est annulé dans l'immensité radicale en la création.

Le Tsimtsoum est création de distance, de la religion proprement dite comme séparation, comme transcendance; il est l'impossibilité de toute la totalité du moi par rapport à lui-même, et du moi se totalisant avec un autre, autrui ou Dieu.

Le défi sera ici de mener une vie plus pleine, de demander ainsi au monde une signification plus haute et féconde. D’aller vers une conscience plus éveillée dans un mouvement de responsabilité et de création: c’est là où l’humain se trouve qu’il doit, peut faire briller la vie cachée de l’absolu. Il y a une saisie existentielle possible et sacrée des étincelles en toute chose. L’éthique y sera un mouvement, une recherche, une brisure. Elle y sera le tout: parole, action ou savoir. Et surtout consentement.

L’action éthique vient interrompre le flux de la vie vers la mort et le mortifère. Elle est le commencement du neuf. L’innovation, la naissance, la liberté. L’humain y est saisi dans sa perfectibilité et le monde dans son évolution nécessaire. La parole est ce qui vient du plus profond effacer le déjà-dit ou le nous disons tous la même chose: elle introduit la singularité, le blanc, l’espace, l’intervalle, la distance; c’est la parole d’un sujet qui se construit et se déconstruit dans l’insertion et le risque de soi. Cela vaut aussi pour nos interprétations des textes ou des idées appelées à faire le vide - le tsimtsoum - une rupture qui redonne vie et sens à l’existence individuelle. C’est le devoir d’innover qui est la véritable liberté. Un devoir fait d’incertitude, de recherche du sens et non de la vérité. Elle est à faire dans la liberté et l’inachevé, toujours en quête d’une signification plus haute et féconde. Elle y sera lutte contre l’idolâtrie du texte ou toute prétention à saisir dieu. Le dire côtoie le dédire pour que le monde ne soit pas prisonnier de son énonciation. La lecture est appelée à produire l’écart et l’éclat, comme brisure et brillance.

C’est le Mahloquèt d’une pensée plurielle non conceptuelle, une pensée de la Présence quand tout est présent ici et maintenant; la pensée y sera non synthétique et asynchrone, elle n’est pas un comprendre ou un saisissable, surtout pas une vérité qui s’endort et s’oublie. Dans cette dialectique ouverte, le maître cherchera à être ébranlé, inquiété, mis en échec, débordé…Il préfère la logique du sens qui permet une multiplicité de sens au texte, ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’interprétation juste. Dieu est en même temps absent et présent, l’être et le néant. L’herméneutique réclame la suspension de nos préjugés au profit de l’étonnement qui nous fait sortir de la paresse métaphysique incapable d’interroger le monde. Le propre de l’humain est néant, liberté, ex-sistence, transcendance, la capacité de s’arracher aux multiples codes ou identités naturelle, familiale ou sociale qui menacent sans cesse de l’emprisonner. Il n’est pas réductible, chosifiable, le lieu d’un destin, le jouet de la nature ou de l’histoire: il est l’altérité, ce devoir et ce pouvoir être autrement, brisure de la brisure qui sait combien il peut se leurrer sur son existence. Qu’il peut mal faire circuler son énergie vitale, la bloquer,l’obstruer, l’enchaîner, la boucher. La méditation devrait nous aider à dénouer ces noeuds, à sortir des enfermements, des fausses sécurités, des fausses identités, des idoles qui bloquent l’influx de l’énergie vitale. La guérison y sera thérapie par le déliement, le dénouement de ce noeud qui fonctionne comme mensonge et interdit, un mal-être.
Le récit du Déluge nous dit comment sortir de la violence (hamass), comment construire un nouveau langage - une arche - qui nous donne une nouvelle vision du monde. Elle est comme une langue mauvaise qui enferme l’autre pour le dominer. Elle fait perdre la capacité éthique de l’invention de soi, celles aussi de la culpabilité et de la responsabilité. Être pour l’humain, c’est être en combat, en devenir, en altération et en altérité, comme l’indique le nom d’Israël. Cela réclame une purification permanente, le symbole des oiseaux dans la Thora. Le nom - Moïse en hébreu - demande à se concrétiser comme l’énergie du langage et de la parole par-delà les difficultés, les distorsions, les perversions ou les réussites. YHVH est le nom de tous les noms, le point d’origine qui devient le lieu même de l’humain où s’ouvre une porte sur son existence, vers le monde, Dieu et autrui. Il est l’impensable, la source même du questionnement.

Pour la Tora, le sens n'est jamais là où il se donne; être, c'est être en voyage, et le voyage n'a pas de lieu.

Moïse ne transmet pas d'abord la loi mais sa cassure, qui signifie le refus de l'idole. Mais dans le geste de Moïse, la brisure de la loi est positive : c'est l'interprétation qui fissure l'écrit. L'Écriture ne s'accomplit pas comme dans la tradition chrétienne, elle ne comble pas, elle est prophétique. Elle fait entrer le temps dans la parole pour lui laisser la possibilité de rester en projet. Le messianisme, c'est que le temps se diffère continuellement. Il ne se cicatrise pas.
Néfèch indique dans sa tension dialectique le travail-repos et la tension-détente: il veut dire aussi animer, ranimer, il est la personne, la vie, l’âme, le sang.
Rouah: c’est le vent, l’air, le souffle, la respiration, l’esprit, les poumons.
Nechama: l’âme mais il est aussi l’inspire et l’expire.
Haya:néfech haya = toutes les créatures vivantes, seul c’est la vie, l’énergie.
Yehida:l’être éthique unique en chacun, la singularité, l’unicité.